L’institutionnalisation de la politique européenne de l’environnement.

Après l’introduction de l’article de Måns Lönnroth « L’Union européenne et la gestion du développement durable: le rôle des pays nordiques » pour l’ouvrage l’Europe et le Développement durable (collection Penser l’Europe, 2008), nous vous proposons, comme promis, la suite de cette contribution avec le premier chapitre.

L’institutionnalisation de la politique européenne de l’environnement.

À l’exception des Pays-Bas et des États nordiques, les pays d’Europe ne se sont engagés que tardivement dans la protection de l’environnement.
En règle générale, leur action dans ce domaine s’est développée en plusieurs phases, au nombre de quatre jusqu’à présent, chacune correspondant à une vague de prise de conscience des problèmes liés à l’environnement.

La première remonte à la fin des années 1960 et au début de la décennie suivante. Chaque pays, l’un après l’autre, mit alors en place des organismes de protection de l’environnement et se dota de la législation requise pour réduire la pollution d’origine industrielle.
Les États-Unis et le Japon étaient à l’époque les pays les plus avancés dans ce domaine avec les pays nordiques. Ils s’étaient engagés très tôt en matière de contrôle de la pollution de l’atmosphère, que ce soit par les automobiles ou, pour le seul Japon, par les usines. La Suède avait commencé par agir sur le retraitement des eaux usées d’origine urbaine ou provenant des industries papetières et, en matière de pollution de l’air, avait adopté des mesures contre les usines et les pluies acides.
Les autres pays d’Europe étaient généralement en retard, particulièrement lorsque la Suède et la Norvège posèrent le problème des pluies acides transfrontalières. La conférence de Stockholm, en 1972, marqua le point culminant de cette première phase, dont la crise pétrolière et la récession qui s’ensuivit eurent bientôt raison.

Une deuxième phase s’ouvrit vers le milieu des années 1980. Dans plusieurs pays d’Europe, dont au premier rang la rfa, les questions d’environnement se mirent à bénéficier d’une attention plus soutenue en termes politiques. Une première avancée intervint avec la Convention européenne sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance (patld) et ses protocoles ultérieurs. Le rôle de la Communauté européenne était très limité jusqu’à ce que l’Acte unique de 1986 lui réserve un rôle direct en matière de régulation de l’environnement grâce à l’introduction du vote à la majorité sur les questions afférentes au marché intérieur. Cette nouvelle règle connut une première application importante avec la directive sur les grandes centrales à combustible, préconisée par la rfa et à laquelle le Royaume-Uni s’opposa jusqu’à ce que Margaret Thatcher eût décidé de céder. Ensuite intervint, non sans force récriminations, une directive sur les émissions des véhicules. C’est seulement à cette époque – la fin des années 1980 – que l’Europe commença à combler son retard sur le Japon et les États-Unis. Il va sans dire que les pays nordiques l’encourageaient dans ce sens, même si seul le Danemark faisait alors partie de la cee. Les principaux pays d’Europe avaient fini par accepter que la pollution était bel et bien un problème qui dépassait les frontières. La rfa opéra alors un changement complet de cap et se fit le champion de la notion de meilleures techniques disponibles (qui, supposait-on, ne pouvaient être qu’allemandes).
Les années 1980 virent également l’adoption de plusieurs accords régionaux comme le Plan d’action pour le Rhin (à la suite de la catastrophe de 1986), l’organisation de conférences sur la mer du Nord, un mouvement de relance de la convention de Helsinki pour la protection de la Baltique, etc. Les pays d’Europe ont pris alors l’habitude de traiter les problèmes d’environnement au moyen de conventions internationales.
La convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone constitue en l’espèce une exception : les États-Unis avaient (non sans avoir considérablement hésité) mené le mouvement avec le soutien des pays nordiques, mais s’étaient heurtés à la résistance des gouvernements des principaux États d’Europe. En définitive, ces derniers jetèrent l’éponge et l’accord put se faire sur le protocole de Montréal.
Le point culminant de cette deuxième phase coïncida avec la réunification de l’Allemagne. En 1992, la conférence de Rio arriva trop tard, même si elle permit la signature de la Convention sur les changements climatiques. La réunification mobilisa les énergies en Allemagne au point que l’environnement passa inévitablement au second plan et que le mouvement perdit notablement en ampleur.

Des enseignements peuvent toutefois être tirés de ces deux grandes phases. Les institutions mises en place continuent de fonctionner, même si la « grande » politique s’oriente vers d’autres sujets. Des progrès continuent de s’opérer, même si c’est à un rythme moins soutenu et, sans que l’on puisse s’attendre à de nouvelles initiatives, de nombreux petits pas sont effectués dans les domaines existants et permettent malgré tout d’aller de l’avant.

La troisième phase correspond au milieu des années 1990 et a été marquée par un glissement à gauche de la vie politique européenne, avec notamment l’entrée des Verts dans plusieurs gouvernements. Par ailleurs, il s’est agi d’une phase uniquement européenne, les États-Unis ayant évolué entre-temps vers une vive opposition à l’intervention de l’État et aux Nations unies, ce qui empêchait toute politique volontariste en matière d’environnement.
Trois aspects sont à retenir de cette phase essentiellement européenne. En premier lieu, le rôle de chef de file mondial en matière de politique de l’environnement était désormais assuré par l’Europe. En second lieu, l’ue s’est lancée dans un réexamen très ambitieux de sa politique des produits chimiques qui a débouché sur une vision totalement nouvelle de ces produits. Dans ce contexte, elle a étendu considérablement les obligations qui incombent aux producteurs en établissant le principe de leur responsabilité à l’égard des déchets. Enfin, l’ue s’est mise à prendre au sérieux la question des changements climatiques, domaine dans lequel, dix ans plus tard, les États-Unis continuent d’accumuler les retards. Les progrès se sont également poursuivis en matière de pollution atmosphérique et, dans une certaine mesure, de pollution des eaux.

Cette vague est à son tour parvenue à épuisement au début des années 2000. Par un heureux concours de circonstances, la présidence de l’ue était exercée par la Suède lorsque le président Bush décida d’enterrer le protocole de Kyoto (on imagine aisément que d’autres présidences de l’ue auraient volontiers suivi les États-
Unis). Le sommet de Johannesburg, en 2002, fut de toute évidence décevant sur le plan mondial (un journal titrait alors avec éloquence « Un désastre évité, des chances manquées »).

Là encore, le creux de vague qui s’ensuivit fut très profond, marqué en Europe par une perte d’intérêt pour les questions d’environnement, non seulement au sein de la Commission, mais encore de la part des gouvernements de plusieurs États membres. De plus, l’élargissement de quinze à vingt-cinq États imposait d’investir énormément de temps et de moyens pour que les nouveaux venus se conforment à la législation européenne existante. Pour ce qui est des changements climatiques, les États-Unis ont continué à faire du surplace. Enfin, la Chine et l’Inde ont commencé à préoccuper les gouvernements européens soucieux de compétitivité.
Cette pause n’a toutefois pas duré, la question des changements climatiques étant venue servir de déclencheur d’une quatrième vague d’action.

Le quatrième exercice d’évaluation du giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a apporté la preuve que ces changements s’opéraient à un rythme plus soutenu qu’on ne l’avait pensé jusque-là. À l’automne 2006, le rapport de Nic Stern marqua un tournant. L’opposition des États-Unis faiblit et l’expérience de la première phase du système européen d’échange de quotas d’émission montra qu’un système réaménagé était en mesure d’avoir des effets réels.
L’ue a depuis lors repris l’initiative sur la question des changements climatiques. Avec les propositions faites sur ce sujet par la Commission européenne en janvier 2008, les rapports entre politique de l’environnement, compétitivité et politique sociale et de l’emploi sont appelés à devenir plus étroits que jamais. Les changements climatiques vont apporter un élan nouveau au processus schumpéterien de destruction créatrice. Certains laissent d’ailleurs entendre que cette question est la seule qui vaille que l’on s’en préoccupe.

Mais d’autres sujets encore s’imposent peu à peu à l’ordre du jour. Avec les progrès de la mondialisation, l’incidence environnementale (et sociale) des biens importés par l’Europe devient de plus en plus visible. Il en va de même des différents modes d’exportation de déchets toxiques entre l’Europe et des pays dont la réglementation en la matière est peu contraignante. Enfin, la question épineuse de la gestion environnementale des échanges commerciaux commence à se poser.