Troisième chapitre de l’article de Måns Lönnroth “L’Union européenne et la gestion du développement durable: le rôle des pays nordiques” pour l’ouvrage l’Europe et le Développement durable (collection Penser l’Europe, 2008) : Quels résultats pour cette politique ?
La composante environnementale de la politique européenne de développement durable est plus difficile à évaluer que ses résultats économiques ou sociaux. Les données relatives à l’environnement européen ne se prêtent pas aisément à l’analyse, ni même à des comparaisons entre pays. Elles proviennent de sources différentes et résultent souvent de synthèses d’études scientifiques réalisées dans un but particulier. On ne s’est guère attaché à mettre en place une base de données cohérente et les analyses comparatives sont loin d’être dénuées d’arrière-pensées, de même que les évaluations des interdépendances entre politiques économique, sociale et environnementale.
En outre, la politique de l’environnement est un domaine hautement compartimenté, reflet de la spécialisation des différentes sciences et des métiers de l’environnement. On ne peut tirer d’une spécialité donnée que peu d’enseignements valables pour une autre et les succès enregistrés dans un secteur ne peuvent être aisément transférés à d’autres. Certaines conclusions se dégagent toutefois avec évidence.
La grande réussite de la politique européenne de l’environnement a été la lutte contre les pluies acides. D’après l’Agence européenne de l’environnement, les émissions de soufre de l’ue à vingt-cinq seront ramenées en 2010 au niveau qui était le leur en 1900, cela grâce à l’effet combiné d’un grand nombre de petites mesures auxquelles s’est ajouté un facteur d’une tout autre portée, l’élargissement de l’Union. Pour la pollution atmosphérique urbaine, le succès est mitigé ; si beaucoup reste à accomplir, la direction qui a été prise est en tout cas la bonne.
La politique commune de la pêche constitue sans doute l’échec le plus patent, les mises en garde sur l’épuisement des ressources halieutiques des eaux européennes étant restées généralement sans effet. En revanche, le Plan d’action pour le Rhin est lui aussi un grand succès, alors que cela est beaucoup moins vrai de la protection de l’environnement marin (Baltique, mer du Nord, Méditerranée).
La protection des zones côtières a dans l’ensemble échoué, presque au même titre que la politique commune de la pêche, même si les conséquences à brève échéance n’en sont pas aussi funestes, car l’orientation qui a été retenue n’est pas la bonne. Quant à la protection des eaux souterraines face aux activités agricoles, ses résultats ne sont pas très probants.
La pollution par les produits chimiques constitue un cas particulier. Si les efforts de contrôle de la pollution due aux usines ont été couronnés de succès, en revanche l’échec est presque total pour ce qui est des risques résultant des produits chimiques présents sur le marché. Quant au programme reach (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques), il est encore trop tôt pour en faire une évaluation, car il est en cours d’application.
Si l’on considère les différents secteurs de l’environnement, on peut observer quatre grandes caractéristiques d’ensemble. En premier lieu, le type de dialogue (pour ne pas dire le degré de confiance) établi entre scientifiques, décideurs et entreprises, qui explique dans une large mesure le degré de réussite obtenu. En second lieu, la structure de la branche d’activité considérée : on observe non sans surprise que les activités qui sont soumises à la concurrence du marché mondial ont désormais (à quelques exceptions près, naturellement) établi un cadre de coopération, tandis que celles dont l’implantation est nationale (on pense à l’agriculture, mais aussi au bâtiment) sont beaucoup moins avancées. En troisième lieu, la nature des avis scientifiques qui sont dispensés, d’où découle la nature du dialogue entre scientifiques, décideurs et entreprises. Enfin, les effets pervers de bon nombre de subventions souvent mises en place pour des raisons sociales.
La lutte contre les pluies acides constitue le meilleur exemple d’un dialogue bien structuré dont l’origine remonte à la Convention européenne sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, texte élaboré dans le cadre de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe en 1979. Le besoin de disposer de modèles du transport transfrontalier de polluants, ainsi que de protocoles afin de mettre en place une base de données commune, donc de pouvoir réaliser des mesures communes, était apparu avec évidence. Cela a débouché sur toute une série de méthodes permettant d’évaluer les procédés d’atténuation des pluies acides, tant en termes de coûts qu’en termes d’incidence transfrontalière, méthodes reposant sur une définition commune des effets produits (ce qui a abouti peu à peu à la notion de seuils critiques différenciés en fonction des caractéristiques des sols). Dès lors que ces composantes étaient en place, les difficultés entre scientifiques, décideurs et entreprises se sont considérablement amenuisées et le débat sur l’action à mener est devenu beaucoup plus franc. Un accord tacite a ainsi pu se dégager entre les pouvoirs publics et les industriels, les premiers faisant valoir aux seconds que les niveaux des émissions devaient être progressivement réduits dans le cadre d’un dialogue entre scientifiques et entreprises. Des protocoles ont pu être conclus sur la base des meilleures techniques disponibles, complétés par d’autres à mesure que ces dernières évoluaient.
À l’inverse, la politique commune de la pêche est l’exemple même d’un dialogue mal structuré dans lequel les désaccords abondent et le passage à l’action est toujours remis à plus tard. Le problème essentiel réside à première vue dans le manque de dialogue entre les professionnels de la pêche et les scientifiques, ceux-là refusant en général d’admettre les avis de ceux-ci. À y regarder de plus près, deux autres problèmes se posent.
Le premier est que la pêche constitue une activité marginalisée confinée dans des régions littorales qui n’offrent pas d’autres emplois et, de ce fait, elle est fortement subventionnée. En second lieu, il s’agit d’une activité marginale en termes de formation et qui ne possède pas de tradition de dialogue entre la communauté scientifique et les pouvoirs publics. En outre, le suivi et l’application des règles sont inadaptés. Les pays où la pêche occupe une place plus importante dans l’activité d’ensemble, comme la Norvège ou l’Islande, ont adopté une approche plus sérieuse de la pêche durable.
Pour en revenir aux actions couronnées de succès, le Plan d’action pour le Rhin mis en place en 1986 a permis d’améliorer considérablement l’état de ce fleuve et de son bassin versant. La pollution industrielle s’est réduite dans une large mesure et le nombre des espèces de poissons a augmenté. De même que dans le cas de la lutte contre les pluies acides, des objectifs précis ont été définis et le suivi des résultats est bien assuré. L’actuelle directive-cadre sur les eaux cherche à réitérer cette expérience à l’échelle de l’ensemble de l’Europe.
Pour les trois écosystèmes marins que compte l’Europe (mer du Nord, Baltique et Méditerranée), la réussite est moindre que pour le Rhin. Bien que certains progrès aient été accomplis, principalement en ce qui concerne les polluants chimiques (le Plan d’action pour le Rhin y étant pour beaucoup dans le cas de la mer du Nord), les problèmes de la surpêche et de l’eutrophisation n’ont toujours pas été traités. Dans le cas de la Baltique, de très graves problèmes de pollution par les produits chimiques continuent de se poser.
Il est assez instructif de comparer le programme d’action pour la Baltique et le programme de lutte contre les pluies acides. En premier lieu, les avis scientifiques ne sont pas de même nature. Les sciences de la mer sont traditionnellement axées sur des actions de surveillance plus que sur le type de modélisation qui a fait le succès de l’étude des pluies acides. C’est seulement au cours des deux ou trois dernières années que l’on a mis au point pour la Baltique un outil d’action comparable à celui que les spécialistes des pluies acides avaient conçu dans les années 1980. De ce fait, le dialogue est plus faible.
En second lieu, l’une des principales sources de pollution de la Baltique (comme d’autres environnements marins) est constituée par l’agriculture ; or, les activités agricoles ne sont pas la même chose, c’est là un euphémisme, que le secteur des centrales électriques qui joue un rôle essentiel dans l’atténuation des pluies acides. Dès lors que des accords ont été conclus avec ce secteur, ils sont faciles à mettre en œuvre. Les mesures de réduction sont bien définies et l’on peut évaluer les coûts, donc comparer ceux-ci aux avantages attendus.
Il n’en va pas de même pour l’agriculture, activité fragmentée pour laquelle les rapports entre mesures, coûts et effets sont moins bien définis et les actions de suivi et d’application des règles moins claires : il n’est pas évident d’évaluer l’incidence que des mesures prises dans une exploitation donnée peuvent avoir sur la Baltique.
L’agriculture joue également un rôle important dans d’autres domaines de la politique européenne de développement durable, et cela avec des conséquences analogues. Les eaux souterraines posent un problème immense, leur qualité dépendant dans une large mesure de la pollution d’origine agricole. La surexploitation des nappes phréatiques est préoccupante dans certaines régions de l’Europe ; or, là encore, l’agriculture en est un des principaux utilisateurs. La fixation de règles environnementales, leur suivi et leur application se révèlent plus difficiles dans le cas de l’agriculture que dans celui d’activités soumises à la concurrence internationale comme l’industrie automobile.
Le cas de l’agriculture met aussi en lumière un autre problème qui se pose à la politique européenne de l’environnement, à savoir la difficulté qu’il y a à protéger les écosystèmes européens.
Par définition, les écosystèmes relèvent de la géographie, de la terre et des eaux. Il s’agit de systèmes complexes qui ne sauraient être ramenés au type d’analyse requis lorsque l’on doit comparer les coûts et les avantages, et il n’existe pas de discipline scientifique qui permette d’attribuer une valeur sociétale bien définie à un écosystème donné. De ce fait, les décisions ad hoc ont tendance à favoriser ceux qui veulent exploiter tel ou tel écosystème.
La réponse à ce problème a consisté à mettre en place des zones protégées, mais cela ne fonctionne que lorsqu’il s’agit de terres dont la valeur économique est marginale ou dont le propriétaire est l’État. Des problèmes surgissent dès que des terres jadis marginales acquièrent une valeur économique pour une raison ou une autre, pour faire passer une route ou une voie ferrée (ce qui revient moins cher sur ce type de terrain) ou encore à des fins de promotion immobilière. Les zones côtières d’Europe sont en l’espèce particulièrement exposées : leur exploitation se poursuit à un rythme rapide et l’on ne cesse de perdre des terres qui remplissent une fonction importante d’écosystème. Les opérations immobilières étant par définition ponctuelles, leur incidence l’est également. Si chacune d’entre elles peut se justifier, il n’en va pas de même de l’ensemble.
La politique européenne de l’environnement offre donc des résultats mitigés : si, dans le meilleur des cas, on enregistre des réussites notables, les échecs ne le sont pas moins et les enseignements que l’on peut tirer des premières ne valent pas forcément pour les seconds. Nous pouvons en noter cinq :
- la structure des avis scientifiques (plus ils sont adaptés au dialogue entre les décideurs et les entreprises, mieux cela vaut) ;
- la structure de la branche d’activité considérée (celles qui sont présentes sur le marché mondial sont plus ouvertes à un dialogue approfondi) ;
- la structure des organismes dirigeants et des entités chargées du suivi et de l’application des règles ;
- le rôle des subventions dans certains secteurs ;
- la différence entre, d’une part, la pollution qui résulte d’activités industrielles ou de certains produits et, d’autre part, l’incidence de l’agriculture, de la pêche et de l’usage des sols sur les écosystèmes.
Ils ont également une importance au niveau global.